Sièges et destruction de la Mothe (6)

Publié le par Karolvs

La capitulation

§ 1. — Préludes de la capitulation

Cliquot demanda jusqu'au lendemain matin pour répondre. Aussitôt, il fit assembler son conseil et après une longue discussion, lorsqu'on eut constaté que la résistance était inutile, dès le soir de ce même jour (28 juin), les assiégés se présentèrent sur la brèche, demandant à parler à M. dé Francières, maréchal de bataille. On convint d'un rendez-vous pour le lendemain vers dix heures. A l'heure dite, le marquis de Villeroy vint lui-même à la réunion, dans la batterie de Francières. On ne put s'entendre, les vainqueurs paraissaient trop exigeants et les assiégés eux-mêmes présentaient des conditions que les premiers n'acceptaient pas. Les hostilités avaient été suspendues, mais espérant intimider ses ennemis, de Villeroy commande à son lieutenant d'artillerie d'envoyer sur la ville cent volées de canon. Ces ordres furent exécutés et les autres travaux continués, mais le 30 juin au matin, vers 10 heures, un officier lorrain se présenta de nouveau sur la brèche et demanda à parler à M. de Francières.

Le feu fut arrêté. M. de Francières accompagné de deux commissaires vint dans la place, pendant qu'on envoyait, comme otages, à M. de Villeroy, MM. de Saint-Ouen, de Germainvilliers et Duboys de Riocour. C'en était fait. Le siège avait duré sept mois. Nul ne pourra douter de la valeur des héros qui le soutinrent avec tant de générosité et de persévérance.
 
On discuta vivement les articles de la capitulation. Un moment, Cliquot quitta l'assemblée refusant des conditions si dures et si humiliantes. Mais il fallut passer par là. On le rappela, et on signa les articles qui suivent.


§ 2. — Articles accordés entre M. le Marquis de Villeroy, Lieutenant-Général de l'armée du Roi  devant La Mothe, et M. de Cliquot, Colonel de cavalerie et d'infanterie, pour S.A. le Duc de Lorraine, gouverneiur de La Mothe.

"M. de Cliquot rendra la place de La Mothe, vendredi prochain, septième du présent mois de Juillet, entre les mains de M. le marquis de Villeroy, en cas qu'elle ne soit pas secourue par une armée au moins de quatre mille hommes dans ledit temps. Il lui sera donne un trompette, avec un passeport nécessaire pour envoyer un ou deux hommes jusqu'à Longwy, pour donner avis du présent traité, cependant ledit sieur de Cliquot donnera trois otages, pour sûreté de sa parole, sans qu'il en demeure aucun de la part de M. de Villeroy.

A été accordé que tous actes d'hostilité commis de part et d'autre devant et pendant le siège, de quelle nature qu'ils puissent être et par quelles personnes que ce puisse être, soit ecclésiastiques, soldats, bourgeois ou autres, demeureront pour éteints, sans qu'ils en puissent être recherchés, directement ou indirectement.

Que l'office divin se fera dorénavant en la manière que l'on avait accoutumé avant le siège, qui est celle de l'Eglise catholique, apostolique et romaine.

Que tous les officiers et soldats qui sont dans la place, de quelle qualité, condition et nature qu'ils soient, sortiront de la ville, leurs vie et bagages sauves avec liberté', armes et bagages, la mèche allumée, balle en bouche, enseignes déployées, tambours battants, avec deux pièces de canon et de quoi tirer dix coups de chacun.

Que tous les meubles, quels qu'ils puissent être, appartenant à Son Altesse de Lorraine, e'tant présentement en cette place, resteront en la disposition du sieur gouverneur et du commissaire général pour les sortir, rendre et conduire en toute assurance avec les officiers, soldats, canons et bagages susdits jusques à Longwy. A l'effet de quoi seront donnés tous les chariots, chevaux et harnais par M. de Villeroy. Pour la conduite de tout ce que dessus sera donnée bonne escorte, commandée par un officier d'autorité et qualité suffisantes pour répondre dudit envoi jusques à Longwy ; et, en cas que ledit lieu Longwy fut pris par les armes du Roi, le tout sera conduit à Luxembourg ;' ce qui s'exécutera de bonne foi par le chemin le plus court, et aux journées telles qu'ont accoutumé de faire les gens de guerre. A cet effet seront dressées étapes pour la nourriture desdits officiers et soldats, avec tous leurs équipages, le tout aux dépens de Sa Majesté très chrétienne.

Qu'il sera donné, par M. de Cliquot, deux otages pour la sûreté et retour des chariots et chevaux, auxquels sera donné passeport pour se retirer où bon leur semblera.

Que les officiers ou soldats blessés ou malades en ladite place y demeureront et y seront traités de bonne foi aux dépens du Roi jusqu'à entière guérison, auquel cas leur sera donné passeport pour se retirer où bon leur semblera.

Que les femmes et enfants des officiers et soldats de ladite garnison qui ne voudront à présent suivre leurs maris pourront demeurer en toute liberté en tel lieu qu'il leur plaira soit en cette place, en Lorraine, Barrois ou ailleurs, sans qu'il leur soit méfait directement ou indirectement en leurs personnes et biens, de quelle nature et condition que soient lesdits biens.

Que tous les prisonniers détenus de part et d'autre, sans aucune exception, pour quel cas et prétexte que ce soit, seront rendus de bonne foi, sans payer aucune rançon.

Que les sieurs conseillers et officiers de la Cour souveraine de Lorraine et Barrois, étant actuellement dans la place, pourront aussi sortir avec les soldats à mêmes conditions, liberté et assurance que la garnison, et permis à leurs femmes et enfants de demeurer où ils voudront sans qu'il soit méfait à leurs personnes et biens, de quelque nature qu'ils soient.

Qu'il ne sera permis à aucun officier français de prendre par force aucun soldat des troupes de Son Altesse de Lorraine, sous quelque prétexte que ce soit.

Que tout le bétail, meubles, et autres choses pris devant et pendant le siège, demeureront à ceux qui s'en sont saisis sans qu'ils en puissent être recherchés, directement ou indirectement.

Que tous prêtres, prévosts, chanoines et autres bénéficiers, quels ils puissent être, étant dans ladite ville ou ailleurs, demeureront dans la jouissance de leurs bénéfices, comme ils faisaient auparavant les guerres, soit de ceux assis en la place ou ailleurs, sans qu'ils puissent être troublés directement ou indirectement en la possession ou jouissance d'iceux, et fruits ou dépendances, le tout en prêtant serment de fidélité au Roi.

Que tous les officiers du baillage du Bassigny ou des sénéchaussées de La Mothe et Bourmont seront maintenus en leurs charges et offices, avec les droits, émoluments, privilèges, franchises et exemptions dont ils jouissaient avant la guerre, sans pouvoir être troublés dans leurs privilèges, franchises et exemptions, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit, en prêtant serment de fidélité comme dessus.

Sera néanmoins loisible aux prévosts et chanoines de La Mothe, comme à tous autres officiers de justice, qui ne voudront pas demeurer dans leurs bénéfices et offices, d'en disposer ainsi que bon leur semblera dans l'année, pourvu que ce soit à personnes capables et agréables à S. M., et, ce faisant, pourront se retirer où ils voudront en toute liberté.

Que les bourgeois dédite ville de La Mothe demeureront à leur volonté dans la ville ou ailleurs, où bon leur semblera, et seront conservés en leurs vie, libertés et biens, dans quels lieux qu'ils puissent être situés, comme anciennement, sans qu'il soit fait aucun tort à leurs personnes, femmes, enfants et familles, non plus qu'à leurs biens, meubles et immeubles, desquels ils pourront disposer à leur volonté, soit par la vente desdits immeubles ou sortie desdits meubles, nonobstant tous logements de gens de guerre, et ils jouiront de tous les privilèges, franchises et droits à eux concédés, tant en général qu'en particulier, par les ducs de Lorraine; et ne pourront les bourgeois qui voudront demeurer, en la place, être contraints de fournir aucuns vivres ni entretien, sinon le logement seulement, à la mode des autres garnisons de France. En cas qu'aucuns se trouvent réfugiés présentement dans ladite place, qui ne seront de la garnison, ou bourgeois, leur sera loisible d'en sortir la vie sauve, avec liberté de se retirer, avec leur famille et meubles, où bon leur semblera.

Que les pères Récollets et les religieuses de la Congre'gation de Notre-Dame de ladite place pourront, en toute sûreté et liberté, demeurer en leurs couvents et y faire la Jonction de leurs règles, en prêtant serinent de fidélité, ou en sortir de leur volonté avec tous les ornements d'église et autres meubles quels qu'ils soient, pour aller où bon leur semblera.

Que toutes les confiscations ou saisies faites pendant ce siège seront annulées, et ceux sur qui auront été faites les dites confiscations rentreront en leurs biens saisis et confisqués, en quelques lieux qu'ils soient situés, en France ou ailleurs, et si quelques immeubles ont été vendus, rentreront en possession d'iceux.

Que toute l'artillerie, munitions de guerre et de 'bouche seront remises de bonne foi entre les mains du commissaire envoyé par M. le Marquis de Villeroy, sans rien excepter.

En cas que quelques officiers, soldats, bourgeois ou réfugiés auront laissé aucuns de leurs meubles en ladite ville, lesdits meubles y demeureront jusques à ce que lesdits officiers et soldats, bourgeois ou réfugiés les veuillent retirer, ce qu'ils seront obligés de faire dans l'année, à compter du jour de la reddition.

Sera permis à M. de Villeroy d'envoyer, si bon lui semble, une fois le jour, une personne, pour voir en quel état sont les travaux de ladite ville, afin qu'il n'y soit rien innové, comme aussi il promet de ne rien faire de deçà, et les faire visiter aux otages.

Faict à La Mothe le dernier jour de juin mil seize cent quarante-cinq.

Ont signé avec MM. de Villeroy et de Cliquot : MM. Rémion, H. Sainct-Ouen, Germainvilliers, La Vosges, C. de La Mothe, Provancher, F. Aymé, N. Le Noir, Sainctouain, de Mussy, de Marne, Maillefert, P. Gautier, Formouze, Roncourt, Malcuyt, Willermin, de Kabonnet, Bonviller, F. de Moncel, La Coste.
"

Pour la France, la victoire était complète, importante et de'cisive. C'en était fait de la Lorraine ; elle était conquise ; son dernier rempart s'écroulait. C'est bien dire l'importance de notre chère et malheureuse cité, et c'est ainsi qu'on le comprit à la cour de France et dans tout le royaume. Aussitôt le Te Deum de la Collégiale chanté par les Français eut son solennel écho à Notre-Dame de Paris, ainsi que dans beaucoup d'autres églises, et à ce Te Deum de la capitale on convoqua tout le ban et l'arrière-ban. Les historiens de l'époque appelèrent cette victoire : le triomphe du grand Roi.


§ 3. — Exécution
Voici d'abord comment M. Duboys de Riocour raconte ce triste événement : "Le septième de juillet, M. de Villeroy entra dans la ville, où, après le Te Deum chanté en l'église paroissiale, il renvoya les otages à leur logis, promettant aux bourgeois de faire exécuter de bonne foi tous les articles de la capitulation (2). Le sieur de Cliquot et tous les officiers et sol" dats de la garnison étaient sortis dès le matin avec l'es" corte qui leur avait été promise, tant pour leurs perce sonnes que pour les meubles de Son Altesse, auxquels on ne toucha pas, entre lesquels étaient ses plus riches tapisseries, toutes brochées d'or et de soie, dont douze pans représentaient les douze mois de l'année, et les autres l'histoire de Saint-Paul, d'un artifice ravissant et qui surpassait le prix de leurs matières."

Ici nous tenons à rectifier une erreur que, certainement on peut dire volontaire de la part de l'historien. M. de Cliquot sachant que sa vie était en danger s'était évadé secrètement après avoir signé la capitulation et avait confié la garde et la conduite de ses soldats à M. de Landrian, son écuyer et aide-camp.

En réalité, cette troupe sortant de la ville, enseignes déployées et tambours battants, était commandée par M. Nicolas de Landrian. M. de Riocour ne pouvait ignorer la substitution, mais il s'est bien gardé de la faire connaître. Voici une lettre qui fera la lumière sur ce point. Datée du 27 août 1846, elle est adressée par M. F.-E. de Landrian à M. de Dumast.

"... J'ai reçu aussi les relations des deux sièges de La Mothe que vous m'avez envoyées et que je connais depuis longtemps ; il y a plusieurs articles à rectifier et j'inscrirai sur les feuilles en blanc intercalées dans ces deux relations les différents renseignements que je sais par tradition de mon père, de M. le chevalier de Landrian mon oncle, décédé à Nancy, et de ma grand'" mère de Landrian, née de Sarrazin, et qui dans sa jeu" nesse avait connu des personnes qui avaient habité la ville de La Mothe avant et pendant les deux sièges. J'ai encore plusieurs registres et d'autres documents venant de La Mothe. C'est Nicolas de Landrian, mon quadrisayeul, qui a été obligé d'exécuter, en date du ier juillet 1645, la capitulation du dernier siège, parce que M. de Cliquot, seigneur de Liffol-le-Petit, gouverneur de La Mothe, s'était évadé pendant une nuit obscure, en traversant les avant-postes français et étant déguisé en paysan, parce qu'il avait appris que le cardinal de Mazarin, premier ministre en France sous la minorité de Louis XIV, voulait le faire pendre, à cause que le marquis Magalotti, son neveu, colonel de l'armée française, avait été tué dans ce dernier siège... — Signé F.-E. de Landrian."

M. Duboys de Riocour ayant, dans la mission qu'il eut à accomplir à la Cour de France, scrupuleusement conservé le secret de l'évasion de son ami, ne pouvait le dévoiler dans la relation de ce dernier siège ; c'est pour cela qu'il mentionne M. de Cliquot comme l'exécuteur de la capitulation.

M. de Landrian alla lui-même conduire cette petite troupe à son véritable chef, M. de Cliquot. Celui-ci se dirigea aussitôt sur Longwy, où était alors le duc de Lorraine. Le prince, satisfait de la glorieuse résistance par laquelle cette valeureuse garnison de La Mothe venait de se signaler, l'accueillit avec une bienveillance toute particulière et la conduisit en Flandre avec son armée.

Quant au brave Cliquot, Charles IV se montra tellement content de sa belle conduite que, par lettres patentes datées de Bruxelles, 1er mai 1646, il l'éleva à la charge de sergent-général de ses armées. Ce fidèle guerrier ne jouit pas longtemps de sa haute position, car il mourut le 11 novembre de la même année. Il fut inhumé dans l'insigne église des Dames de Thoor, avec tous les honneurs dus à son mérite.

Les assiégés ont donc fait leur complète soumission en exécutant fidèlement le traité. Mais, du côté des Français, ce ne fut qu'une comédie qui se termine par une affreuse tragédie. Cette capitulation consentie et signée par les deux parties sera lettre morte qu'on se hâtera de fouler aux pieds. Et en effet, pendant que dans la place on aura l'air d'exécuter ce qui vient d'être convenu, à la Cour on ne reconnaîtra ni convention signée par les représentants du Roi aussi bien que par l'ennemi malheureux', ni même ce qu'il y a de plus sacré dans le droit des gens ; on donnera immédiatement des ordres inexorables : ce qu'on veut, ce qu'on ordonne, c'est la destruction, l'anéantissement complet de la ville de La Mothe.


A suivre : la destruction de La Mothe

Publié dans De 1477 à 1648

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