Pierrefort : une Landfriede lorraine
Si vous êtes amateur de randonnées à pied ou à bicyclette en Lorraine, vous connaissez certainement la Petite Suisse Lorraine, cette verdoyante vallée où s'écoule le ruisseau de l'Esch, de Martincourt à Jezainville.
Peut-être vous êtes-vous arrêté devant ce qui fut une puissante forteresse médiévale, dominant la vallée de l'Esch, entre Martincourt et Manoncourt : le château de Pierrefort.
Laissons l'auteur du "Dictionnaire statistique du département de la Meurthe"1 nous décrire l'état de ce château tel qu'on pouvait le voir en 1836 :
PIERREFORT, château célèbre dans les forêts de la Lorraine, et aujourd'hui ferme importante sur le territoire de Martincourt, à 3 km ; on y compte 14 individus.
Cette résidence est composée de bâtiments fort vastes qui ne sont pas sans beauté, de magnifiques jardins, d'une cour immense, d'une huilerie considérable avec un battoir à grains et de greniers nombreux et très-étendus. Il y a 90 hectares de terres labourables, 8 hectares d'excellentes prairies, et 8 hectares de luzernières, pâturages, etc. : ces dépendances ne forment qu'un seul gazon.
C'est tout ce qui reste de l'orgueilleux manoir féodal qui se dressait autrefois sur le rocher de Pierrefort. Il avait été bâti par Renaud de Bar, évêque de Metz, qui le donna à Pierre de Bar, son frère, si fameux dans les annales du pays. Il passa ensuite au comte de Deux-Ponts qui avait épousé la sœur de Henri de Bar ; cette terre fut donnée encore en fief au comte de Nassau-Sarrebrück, qui еn fit la renonciation en 1448 : le duc René devint alors possesseur de Pierrefort, mais il eut d'abord à lutter contre le duc de Bourgogne qui s'en était emparé : les Lorrains reprirent cette forteresse et la rasèrent. Dans les guerres qui eurent lien entre les comtes de Bar et les évêques de Metz, la garnison du château fit quelquefois des sorties jusqu'aux portes de Metz, et elle se vit aussi enfermée bien souvent dans les murailles du fort sans oser en sortir un instant. Le duc René assiégea Pierrefort, y mit le feu et en détruisit le fameux donjon : en cela il rendit service au pays dont ce redoutable manoir était la terreur; une foule d'exactions commises par les seigneurs de Pierrefort avait excité une haine et une horreur profonde dans le cœur des habitants du voisinage. Il ne reste aujourd'hui que de faibles débris du fier château qui était bâti sur le roc, dans une position de difficile accès et très avantageuse.
La terre de Pierrefort, fief seigneurial, appelé Petra fortis, ou Petri Fortalitium, avait pour derniers seigneurs les marquis d'Heudicourt, sous la suzeraineté de Lorraine, et ensuite de France; elle était composée des villages de Mamey, Martincourt, Pierrefort et de la cense de Nanceuil : il y avait une chapelle, fondée en 1619, par une comtesse de Lenoncourt, de la maison de Beauveau et Dame de Pierrefort : cette chapelle n'existe plus.
Le 27 janvier 1414, Edouard, duc de Bar, et Philippe, comte de Nassau et de Sarrebrück, scellèrent une Burgfriede au sujet des châteaux de Pierrefort, Bouconville2 et Avantgarde3.
Au Moyen-Age, une Burgfriede (de l'allemand Burg : château et Frieden : paix) ou Landfrieden (Land : terre) était un contrat qui réglait les modalités d'une trève durable entre seigneurs sur un territoire donné.
La Burgfriede de 1414 dont il est question ici, n'est pas seulement un acte scellant une trève, mais aussi une sorte une sorte d'accord de copropriétaires : Edouard de Bar et le comte de Nassau possèdant chacun une moitié des châteaux et terres en question, un "bon et loyal assûrement qui sera dit et appelé trève et garde en nos dites forteresses" est absolument nécessaire.
Ce contrat est un document4 des plus intéressants.
"Nous, Edouard, duc de Bar…, et Phelippe, conte de Nassove et de Sarrebruche, sçavoir faisons… que nous, pour l'evident prouffit et utilité, par l'advis et conseil de noz amis et des sages, avons, pour le bien de pardurable paix et accort et de benigne volonteit et tranquiliteit que nous desirons à tousjours estre entre nous et noz hoirs qui après nous seront seigneurs des chastelz et forteresses de Bouconville, Pierrefort et l'Avantgarde et des appartenans à ycelles, avons fait et juré… pour nous, jusques à dix ans… une bonne et loyale burgfride, c'est à dire ung bon et loial asseurement qui sera dit et appelié trieves et garde en nosdites forteresses et des pourpris cy apres déclairez et denommez. C'est assavoir que nostredicte burgefride, pour nostredict chastel et forteresse de Bouconville commencera à l'église et moustier de Broucey… Et pour notre forteresse de Pierrefort, durera ladicte Burgefride jusques au ruizel ou rivière qui en dessoubz icelle forteresse devers Martincourt, et par autre part et autre tel espace tout entour ladicte forteresse. (Cette phrase ne semble pas complète.)
Et pour nostre forteresse de l'Avantgarde, durera jusques sur la rivière de Mussel dessoubz Ponpain, et par ainsy longue et au tel espace tout entour de ladicte forteresse. Et telle manière que nous et chacun de nous avons juré et promis… que pour quelqconque maltalent, debat, dicention que nous pourriens avoir l'un contre l'autre en temps advenir…, nul dommage ne venra à l'autre de nous par nous ou pour aucun de nous, noz gens, servans, aidans, complices ou autres, par quelqconque maniere que ce soit et tout sans malengin dedans nosdictes forteresses et pourpris, ne à ses biens estans ezdictes forteresses et ezdicts pourpris.
Item, et s'il advenoit que aucun de nous voulsist recepter aucun prince, conte, seigneur, barons ou autre chevalier ou escuier ou bonne ville, faire le pourroit parmy ce que le prince qui recepté seroit payeroit quarante florins de Rin et quatre arbalestriers chacune en prix de cinq florins ; le conte ou autre seigneur baneret vingtz florins et deux arbalestriers en pris que dessus ; le chevalier ou escuier, cinq florins à une arbalestre, et la bonne ville autretant comme le prince ; lesquelles sommes d'argent et arbaleste seront baillées et délivrées à ceux qui seront pour lesdicts seigneurs, pour les mectre et convertir au proffict et necessité desdictes maisons et forteresses. Et celuy de nous qui voulroit recepter ou qui recepté auroit, doit faire savoir par ses lettres ouvertes aux chastellains et aux portiers communs qu'il a recepté le dénommé en ses lettres, en paiant le droit dessusdict selon son estat ; et en cas que ainsy ne le feroit, le recept seroit de nulle valeur, et oultre seroit tenu celuy qui recepté auroit de faire jurer celuy qui recepté seroit la burgefride selon le contenu de ces presentes, et avant qu'il se puist aider de son recept, bailleroit de ce lettres scellées de son scel.
Item, s'il advenoit, que Dieu ne veuille, que lesdictes forteresses ou l'une d'icelles fuissent par aucuns de noz ennemis ou des ennemis de l'un de nous ou par autre, ou que le siege fut mis devant, nous et chacun de nous seriens tenus, ledict terme durant, de toute nostre puissance de les recouvrer et de lever le siege, et tout sans malengin. Et ne pourroit l'un de nous sans l'autre reprenre sa partie desdictes forteresses ou de l'une d'icelles, les voloient prendre ; mais se l'un de nous requerroit, reprenoit ou regaignoit les desdictes forteresses ou de l'une d'icelles, l'autre de nous y raveroit sa artie comme auparavant, non obstant qu'il n'eust pas esté present au regaigner.
Item, et s'il advenoit par aucune ignorance que l'un de nous admenast en nosdictes forteresses ou en l'une d'icelles aucune personne qu'il feut de guerre à l'autre, et il estoit requis de celuy à qui il seroit de guerre ung jour après son departement. (Cette phrase ne semble pas complète.)
1 - Dictionnaire statistique du département de la Meurthe, contenant une introduction historique sur le pays, avec une notice sur chacune de ses villes, bourgs, villages, hameaux, censes, rivières, ruisseaux, étangs et montagnes, par M. E.G.*** (E. Grosse) - 1836
2 - Bouconville sur Mad (Meuse)
3 - Le château de l'Avantgarde, à Pompey (Meurthe-et-Moselle)
4 - donné par M. Henri Lepage in Les communes de la Meurthe - Journal historique des villes, bourgs, villages, hameaux et censes de ce département - 1853
Pierrefort aujourd'hui
Pierrefort surplombant le vallon de l'Esch
Les vestiges qu'on aperçoit en venant de Martincourt
Que signifient ces lettres ou ces symboles ?
Post scriptum le 25 avril 2009 : du neuf à propos de Pierrefort...