Le pèlerinage de Benoîte-Vaux (6)

Publié le par Karolvs


Sixième jour de la neuvaine, 11 mai

Dès les deux heures du matin, les messes et les dévotions se recommencèrent. A six heures, la messe du pèlerinage, et, sur les huit heures, on s'assembla pour retourner. La merveille fut que ces messieurs ne se lassaient point dans ce petit vallon ; et, quoique la plupart aient couché à l'enseigne de la lune et les autres sur la dure les deux nuits passées, personne pourtant ne se plaignit d'avoir été maltraité, les choses qui sont à cœur sont à demi faites, et pourtant importe-t-il d'aimer la pénitence pour en trouver la pratique agréable.

Le signal pour partir, après avoir chanté Hoc in templo summe Deus, etc., fut le Te Deum, entonné par les chapelains, et, ainsi conduits par nos Pères de la Résidence, le cierge en main, en habit de chœur, on alla jusqu'auprès du bois, où s'était faite la première station en entrant ; et là tous, agenouillés, chantèrent l'antienne très-dévote de l'Ave Regina cœlorum, après avoir répété trois fois, selon la coutume des pèlerins : Vale o valde decora, etc. ; le chapelain ordinaire se leva pour dire son mot, et reprenant ces mêmes paroles Vale o valde decora, etc., dit : "Et quoi ! messieurs, comment se peut-Il faire que nous disions adieu et que nous quittions Celle qu'avons promis de ne jamais abandonner. Malheur à celui qui y songera ! faisons de deux choses l'une : ou laissons nos cœurs et nos résolutions entre les mains de la Mère de miséricorde, pour nous laisser gouverner par elle et lui abandonner le succès de nos demandes ; ou plutôt logeons-la dans nos cœurs et sur nos mains, pour ne rien faire ni penser qui ne soit marqué de son approbation". Ce qu'étant dit, un peu plus amplement, tous de rechef baisent la terre et prennent congé de nos Pères, il est impossible de dire comment.

Le retour fut sur-les mêmes pas, et avec les mêmes exercices de la venue, et les villages partout rendirent les mêmes témoignages de bienveillance à nos pèlerins. A midi, l'examen fut fait sur les sentiments qu'on avait eus dans le saint vallon, sur les résolutions ici pratiquées, et une revue sur ce qu'on s'y était proposé d'amender.

Sur le soir, comme il était dimanche, aussi plus grande assemblée fut faite à Saint-Mihiel, pour venir nous recevoir dans le même ordre que la première fois : nous fûmes conduits dans l'église des RH. PP. Bénédictins, qui nous reçurent fort solennellement. A la fin des dévotions, le prédicateur ordinaire, sous le bon plaisir du R. P. président des Pères Bénédictins, monta en chaire pour continuer d'avertir les pèlerins de se souvenir de leurs desseins et de leurs devoirs ; avec quoi il leur donna la vertu de force, pour accompagner la persévérance, sur ce qu'étant dans une église dédiée aux saints anges, l'un des premiers de ces célestes esprits s'appelait Force de Dieu ; la pratique de cette force ou générosité fut divisée en trois actes : le premier est de la force à maintenir la grâce de Dieu reçue dans le lieu sacré de Benoitevaux envers tous les ennemis du Christianisme ; le deuxième est de la force pour maintenir la gloire de leur bonne Mère, empêchant tous ceux qui sont en notre pouvoir de faire ni dire chose contre son honneur ; le troisième est la magnanimité et générosité, pour se montrer sans feintise, paraître sans affectation et vivre sans hypocrisie, dans les compagnies, dans les tracas de la vie et dans les négoces du monde, comme pèlerin de Notre-Dame.

Septième jour de la neuvaine, 12 mai

Les dévotions faites et l'assemblée aussi pour partir, le prédicateur reprit encore un discours à l'occasion du grand saint Michel, prince de la milice céleste, et dit aux pèlerins que Michel vaut autant à dire que "Qui est semblable à Dieu ? "; et qu'avec la force du soir, il fallait joindre la ferveur pour être les anges de la Vierge, pour maintenir son honneur et dire partout : "Qu'y a-t-il de pareil à Marie ?". Cette ferveur devait se faire paraître par la modestie en nos gestes, par la continuation dans le travail du chemin, et enfin parlant volontiers des grandeurs de notre Maîtresse, la bénédiction du Saint Sacrement reçue des Pères Bénédictins, nous primes le chemin de Sainte-Lucie, comme il avait été accordé au dévot sexe féminin. Aux approches de Kœur, nous vint au-devant une belle procession, qui nous conduisit au travers des belles allées et palissades de jardin de Monseigneur le marquis de Mouï, leur bon prince, et nous invitèrent de faire quelques prières pour sa santé et prospérité ; ce que nous fîmes par le récit des psalmes Miserere mei Deus, et Deus misereatur nostri, que chantâmes le long des allées : la noblesse et la garnison nous remercièrent de leurs salves et au son des violons, qui nous conduisirent hors du lieu de Kœur, et de très-grand cœur.

Les Révérends Pères Minimes du couvent de Sainte-Lucie, d'abord qu'ils nous aperçurent, vinrent fort solennellement, revêtus de chapes et tuniques ; deux portaient la châsse de sainte Lucie, et le R.P. provincial, venu exprès pour rendre ce devoir à messieurs de Nancy, suivait, tenant en main un gros reliquaire d'argent garni d'une des saintes Epines qui autrefois, pour nos méfaits, ont percé horriblement le chef du Fils de la Mère de douleur. Ils vinrent justement auprès d'une belle grande croix de pierre, et là nos pèlerins, tous le genou en terre, adorèrent cette précieuse relique et eurent le bonheur de la baiser en passant. De là, on alla faire halte sur la montagne et dans l'église de Sainte-Lucie, pour donner loisir à tous de visiter les grottes, les retraites et les arbres de Sainte-Lucie.

Photo publiée avec l'aimable autorisation de Therion
Entre légende et réalité

L'heure passée, on se réunit ; on dit le De profundis pour le fondateur du couvent. Et, à l'occasion de cette sainte Epine, le chapelain les avertit d'entourer, selon le commandement du Sage, leur chef et leurs oreilles pour empêcher les surprises de Satan : premièrement l'oreille du cœur, qui doit avoir ouï la bonne parole de l'époux à Benoitevaux, pour ne rien laisser entrer qui puisse la dissiper ; 2° l'oreille de l'imagination, pour n'y laisser entrer aucun fantôme de détraction, et point d'autres images que celle de Jésus-Christ hérissé d'épines, et de Marie percée du glaive de douleur ; 3° l'oreille du corps, qui est comme la porte par où entre, aussi bien que par les autres sens, ce qui s'introduit dans l'entendement. Ô le beau pendant d'oreille ! ô le précieux ornement d'un dévot de la Vierge ! Cela dit, le Saint Sacrement adoré, et de rechef la sainte Epine, on sortit avec la même conduite des Pères Minimes qu'on y était entré.

Les mêmes dévotions furent observées, à l'adjonction d'une nouvelle qui s'observa le reste du voyage : c'est qu'approchant du gîte, avant d'y entrer, tous les pèlerins se retournaient du côté de Notre-Dame de B.V., où ils avaient reçu tant de grâces, et, à deux genoux, récitaient dévotement l'Ave Maria, afin d'avoir la mémoire fraîche des résolutions qu'ils y avaient prises si courageusement.

D'abord qu'on approcha de Commercy, nous aperçûmes la procession venir pour nous recevoir en même ordre, pompe, cérémonie et convoi qu'en passant. Monsieur le curé, s'avançant, vint faire compliment aux Pères chapelains (ce qui se faisait ordinairement, et eux réciproquement rendaient les civilités au nom de la ville de Nancy), assurant nos bons pèlerins que pour prendre part à leurs dévotions et joindre leurs vœux ensemble, depuis qu'ils étaient passés, ils avaient fait une procession dans la ville à cette intention. De quoi, étant entrés dans l'église et achevé les prières, même reçu la bénédiction du Saint Sacrement, le chapelain prédicateur ordinaire, étant monté en chaire, les remercia hautement au nom de toute la compagnie, congratulant messieurs de Nancy d'avoir fait un bon commerce dans Commercy et d'avoir eu des associés si dévots, à l'occasion de quoi il expliqua cet article du Credo, la Communion des saints ; qu'il fit passer pour l'entretien ordinaire, et leur dit que par cet article ; 1° nous participions aux mérites de Jésus-Christ, entrant dans l'ordre de ses enfants par le Christianisme ; 2° aux mérites ou satisfactions que les saints, après avoir payé leurs dettes envers Dieu, avaient laissés dans le trésor de l'église par une surabondante charité pour les vivants ; et 3° en priant les uns pour les autres, selon le précepte de l'apôtre, étant en la grâce de Notre-Seigneur et dans l'union de son souverain sacerdoce, nous obtenons des faveurs les uns pour les autres. Et puis il acheva son discours, disant à messieurs de Nancy que, pour être reconnaissants des faveurs de messieurs de Commercy, il fallait : 1° réciproquer en leurs endroits ; 2° vivre effectivement selon l'estime que le monde avait d'eux ; 3° enfin, qu'ils feraient tout cela s'ils persévéraient en la modestie, magnanimité et le courage que jusqu'alors ils avaient fait paraître.



A suivre : les 8ème et 9ème jour de la neuvaine : Toul ; de retour à Nancy

Publié dans De 1477 à 1648

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