Sièges et destruction de la Mothe (4)
Les blocus de 1642-1643
(second siège de la Mothe)
§ 1. — PREMIER BLOCUS.
Que fit Charles IV dans les années qui suivirent la capitulation de La Mothe ? Il continua à guerroyer, et comme son armée lui était très attachée, qu'il était, d'ailleurs, un excellent général, il fit merveille dans la Franche-Comté, dans l'Allemagne et même dans le nord de la France. Malheureusement, il était du parti de l'Autriche et de l'Espagne et ses succès ne lui rendaient pas ses états. Il fut bien obligé de se soumettre.
La ville de La Mothe demeura à la France jusqu'en 1641, époque qui fut appelée la petite paix, parce que Son Altesse fit avec le roi un traité, par lequel elle s'engageait à joindre ses armes à celles de la France, à la condition que le roi lui rendrait toute la Lorraine, à l'exception de Nancy, qui devait pareillement être restitué au moment de la paix générale. Mais La Mothe ayant été remise entre les mains du duc, et les affaires de ce prince ne lui ayant pas permis de se joindre à l'armée du roi, celui-ci, dès l'année suivante, déclara de nouveau la guerre.
Cette décision si précipitée avait pour prétexte les actes du prince Charles. A peine rentré dans ses états, le duc de Lorraine, comprenant l'importance de La Mothe, donna des ordres pour en faire réparer les fortifications Rien dans le traité ne s'opposait à cette entreprise. Puis, aussitôt, il prit ses mesures pour faire ravitailler la place. Bien entendu, il ordonna des réquisitions de vivres et autres provisions. C'était son droit dans tout le Barrois et dans les autres provinces qu'on lui rendait.
Nous tenons à faire ici une petite digression pour répondre à une accusation qui nous paraît grave et demande un correctif. M. de Piépape, dans son Histoire militaire du pays de Langres, écrit les lignes suivantes : "Cliquot se livrait dans la contrée voisine de La Mothe à de continuels brigandages, rançonnant les campagnes jusqu'à Langres et même jusqu'à Vitry, St-Dizier et Châlons. Ces excès obligèrent Louis XIII à faire mettre, une seconde fois, le siège devant cette petite ville de La Mothe, qui était devenue un véritable repaire de brigands".
Illustres chefs des grandes familles lorraines, qui n'avez pas craint de verser généreusement votre sang pour Dieu et vos princes, que pensez-vous d'une telle accusation ? Jusqu'aujourd'hui votre gloire n'avait pas rencontré de contradicteur, et voilà que vous n'êtes plus que des chefs de brigands !
Hâtons-nous de dire que M. de Piépape ne connaissait pas mieux ceux qu'il appelle les Mothois, qu'il ne connut le nombre des portes de leur ville. Que les princes de Lorraine, dans ces temps malheureux, aient réclamé des impôts, même dans les pays pour la possession desquels on se battait ; qu'ils aient exigé des subsides de guerre un peu lourds ; peut-on de là conclure qu'une des dernières forteresses qui leur restaient n'était qu'un repaire de bandits ? La petite ville de La Mothe n'était qu'une individualité, elle ne pouvait être rendue responsable des agissements de la principauté. Ces actes de prétendu brigandage ne sont ni vrais ni vraisemblables. Ces récits qu'on emprunte à la Gazette sont évidemment empreints de beaucoup d'exagération. Sans doute, il y eut de la part des soldats des échauffourées regrettables. Sans doute aussi, il est vrai de dire qu'après la destruction de la ville, il y eut telle ou telle troupe, qui n'ayant plus d'asile, se répandit dans la campagne, réclamant des vivres et même de vieilles contributions qu'ils dient estre deubes audict duc Charles. Tristes et inévitables conséquences de la guerre ; on les retrouve partout ! En somme, la pauvre Lorraine eut à supporter plus de souffrances de cette terrible guerre de Trente Ans, qu'elle n'en fit endurer aux autres contrées ses voisines.
De fait, une population de trois à quatre mille habitants, ayant à peine un millier de soldats pour garnison, avait-elle besoin d'aller piller jusqu'à Langres, Saint-Dizier, Vitry et Châlons pour pourvoir à sa subsistance ? Les riches campagnes qui s'étendent autour de La Mothe n'avaient-elles pas suffisamment pour répondre à tous ses besoins ? Que M. de Piépape aille consulter les archives de Bar. Il y trouvera, sans doute, les nombreux récits des malheurs de cette époque, mais il y verra également que, si nos contrées et surtout nos riches populations du Bassigny ont été rapinées, ce n'est pas précisément par la petite troupe qui gardait et défendait La Mothe, mais par la grande armée qui, après avoir, par les ordres d'un cardinal autocrate, écrasé, démantelé, rasé et anéanti nos châteaux d'Aigremont (sans excepter la fameuse tour de Maugis), de Montigny, de Montéclair et de Goiffy, se préparait à faire subir le même sort à la ville de La Mothe. Et puis cette armée française n'était-elle pas escortée de la trop fameuse armée suédoise, qui a promené la désolation, on pourrait dire le brigandage, dans la Champagne, dans la FrancheComté et surtout dans la Lorraine ?
Nous sommes loin d'ailleurs de vouloir innocenter complètement le duc Charles. Son caractère belliqueux lui fit commettre bien des fautes, mais pour le cas présent, peut-on lui imputer à crime de songer à sa forteresse de La Mothe, d'y réparer les brèches occasionnées par les injures du temps et par les guerres précédentes ? Sans doute, il tient non seulement à la reconstituer, mais aussi à la ravitailler.
Le roi et son ministre voient que ses préparatifs constituaient un danger pour la France. Sans tarder, ils décident l'investissement de la place. Le sieur Arnauld avec cavalerie et inanterie fut chargé de cette mission. Combien dura le blocus ? Nous ne pouvons le dire. Dom Calmet n'en fait pas mention, ou plutôt il parle seulement d'une attaque qui aurait eu lieu en 1641.
En signalant une certaine confusion commise dans les dates par les historiens de cette époque, M. Simonnet nous dit que ce siège fut de courte durée. Il fut réel, cependant, n'en jugerait-on que par ce récit moins martial que romanesque trouvé dans les mémoires de l'abbé Arnauld, fils ou au moins proche parent du général. "Vers l'automne de 1642, on donna un corps de troupes à M. Arnauld, avec lesquelles il eut ordre de bloquer La Mothe, la meilleure place qui restait à M. de Lorraine, et dont la garnison incommodait fort, par ses courses, toutes les provinces voisines. Il m'écrivit à Verdun, me proposant fort honnêtement de venir servir auprès de lui, en une occasion où il avait besoin de personnes de confiance.
Peu de temps après, il prit ses quartiers à l'entour de La Mothe et la bloqua si bien tout l'hiver qu'on ne fut plus incommodé des courses de sa garnison et qu'elle-même le fut beaucoup. Ce ne fut pas sans d'extrêmes fatigues de notre part. Nous étions presque continuellement à cheval par les neiges et un. froid extrême : mais il est vrai que ces peines étaient adoucies par la bonne compagnie que nous trouvions en ce pays-là, et à la campagne et à Chaumont, y ayant alors de fort jolies femmes.
1643... La saison commençant à s'avancer, M. Arnauld rapprocha ses quartiers à la portée du canon de La Mothe pour la serrer de plus près; quelques jours après, nous devions commencer le dégât de la plus belle moisson à l'entour et sur la montagne où elle était située. Mais M. Arnauld reçut ordre de mener les troupes qu'il commandait à M. le Prince, qui avait assiégé Thionville."
Signalons aussi à ce sujet deux pièces qui prouvent que les récits de certains historiens sont souvent exagérés et empreints d'une évidente partialité.
Ils n'ont pas de termes assez forts pour montrer l'armée de La Mothe, comme l'horreur et la terreur du voisinage et pourtant, dans une lettre à Mazarin, le général Arnauld dit en toutes lettres : " Le plus difficile est fait ayant empêché cet hiver qu'il n'y soit rien entré. Mais les habitants du pays sont généralement s'y-portés pour les intérêts du duc Charles, qu'ils font continuellement tout ce qui leur est possible pour jeter des vivres dans la place et pour retirer les bouches inutiles que ceux du dedans tâchent toujours de mettre dehors. On m'ôte la plus grande partie des troupes que j'avais..."
Dans une autre lettre écrite également du camp de Vrécourt, le 18 mai 1643, le même général demande des troupes, disant que le peu qu'il a ne lui suffit même pas pour empêcher les habitants de travailler et de faire leur récolte.
Quelques temps après, il levait le siège et la ville se trouvait libre.
§ 2. — DEUXIÈME BLOCUS, BATAILLE DE LIFFOL-LE-GRAND
Certains auteurs avec M. de Piépape mettent le blocus par du Hallier avant celui dont nous venons de parler. C'est l'effet de la confusion de dates que nous avons signalée. Tout en maintenant notre opinion, nous laissons nos lecteurs libres de suivre celle de M. de Piépape.
Dès la fin de cette même année 1643, la Cour ordonne à M. du Hallier , maréchal de France, d'aller remplacer M. d'Arnauld et de partir avec une armée plus considérable pour établir le blocus régulier de la ville de La Mothe. Du Hallier commença par s'installer en Lorraine comme gouverneur de cette province. Cliquot, dont nous parlerons bientôt plus amplement, gouvernait et remettait en état la forteresse lorraine. Du Hallier se dirige vers ce point. Il avait avec lui, comme adjudant, le général comte de Grancey. Il va camper avec une moitié de son armée'devant Vrécourt et détache l'autre moitié à Sommerécourt avec le comte de Grancey auquel il remet trois pièces de canon pour appuyer ses attaques. Il dévaste la plaine environnante, fait tracer un fort en face de La Mothe sur la montagne de Fréhaut et donne l'ordre d'élever deux redoutes à droite et à gauche de ce fort. On met 50 mousquetaires dans chacune des redoutes et pareil nombre dans Soulaucourt, qui était la tête du quartier général.
Cliquot tenta une sortie sur Soulaucourt, avec 300 mousquetaires et 60 chevaux, espérant enlever le bagage des Français. Mais toutes les forces assiégeantes réunies sous les ordres du marquis de Choiseul-Praslin chargèrent les troupes de sortie et les obligèrent à repasser le cours d'eau . Du côté des Français, le commandant de la garde avancée, qui était M. de la Montagne, fut tué avec 6 officiers et 60 hommes. On voit que de part et d'autre on commençait à se battre courageusement.
Son Altesse, le duc Charles, connaissait le mauvais état de la place, encore dépourvue de vivres et de munitions de guerre ; il savait qu'elle ne pouvait supporter un siège vigoureux et un blocus rigide. L'importance du poste le fit incontinent renoncer à la conquête du Thann pour voler à la défense de La Mothe.
A la première nouvelle de l'arrivée du duc de Lorraine, du Hallier leva le blocus, réunit ses troupes et fit ses dispositions pour recevoir l'armée qui venait l'attaquer. Pour ce but, il renvoya tout son canon à Neufchâteau, ordonna de faire filer son bagage à Huilliécourt et de là à Chaumont, puis mit sa cavalerie en ligne afin d'arrêter et de combattre le duc Charles.
Ici, M. de Piépape devient sincère et dit que le prince dont l'agilité égalait l'audace sur le champ de bataille, parvint à s'échapper. Il croit même qu'il put aller jusqu'à La Mothe conduire les provisions de guerre et de vivres qu'il y amenait en grande quantité.
La vérité, c'est que le Duc ménagea si adroitement sa marche, qu'ayant passé la Meuse à Bazoilles, sans éprouver la moindre résistance, il fit escorter le convoi en s'assurant qu'il arriverait à destination. Puis comme M. du Hallier cherchait à l'éviter, ne se sentant pas assez fort, dit M. de Piépape (i), le prince fit faire à sa cavalerie un demi-tour jusqu'à Harréville, pour de là revenir par le chemin de Liffol-le-Grand et prendre en flanc l'armée française, tandis qu'avec le reste de ses troupes Son Altesse l'attaquerait de front. Cet ordre fut exécuté avec une précision remarquable et c'est ce qui facilita la victoire aux troupes de Charles IV ; car, pendant que les deux armées combattaient dans cette longue et vaste plaine de Liffol-le-Grand, les détachements de cavalerie lorraine, revenant d'escorter le convoi, tombèrent à l'improviste sur l'aile droite de l'armée française, du côté du moulin à vent. Du Hallier, craignant d'être cerné, battit en retraite avec tant de précipitation, qu'il laissa sur le champ de bataille 1 500 hommes tués et 1 000 prisonniers.
Il abandonnait ses bagages, la caisse du trésorier et même son cordon bleu. Il s'agit ici du cordon de l'ordre du Saint-Esprit, et c'est ce qui fit dire à des malins qu'il avait perdu l'esprit.
De nouveau La Mothe redevenait libre et allait jouir de quelques jours de tranquillité sous la sage administration de son gouverneur, M. de Cliquot.
§ 3. — LE BESME.
C'est pendant ce blocus que le sieur Saint-Mar, dit le Besme, fit une tentative odieuse, racontée par M. Duboys de Riocour.
Saint-Mar était un officier français qui voulut essayer de séduire Cliquot. Pour arriver à son but, il prend avec lui un autre officier français nommé Quebenhouse. Tous deux se rendent à La Mothe et demandent à parler au gouverneur. Ils lui exposent qu'ils sont lorrains d'origine et de coeur et qu'attachés à la maison de Lorraine, loin de vouloir porter les armes contre elle, ils désiraient au contraire lui être utiles.
Cliquot ne se fit pas illusion ; il vit parfaitement le piège et donna des ordres sérieux pour faire loger séparément ses deux visiteurs et les soumettre à une surveillance rigoureuse.
Dans une nouvelle audience, Saint-Mar, toujours avec la même fourberie, amena des propositions de rendre la place, et cela, disait-il, avec l'agrément de Son Altesse et promesse pour M. de Cliquot d'une riche récompense en argent et même du bâton de maréchal de France et d'un gouvernement important pour son fils.
Cliquot, loin de laisser percer son indignation, se montre aimable et remet au lendemain l'examen de cette proposition, sous prétexte, qu'en ce moment, il souffre de la goutte.
Le lendemain, le gouverneur convoque ses deux enjôleurs ; mais, avant leur arrivée, il fait cacher derrière une tapisserie ses deux plus fidèles capitaines, et pendant qu'il est en compagnie du baron d'Urbache, on introduit les deux officiers, qui "débitent leur boniment" de la veille. Le gouverneur, après les avoir écoutés avec une certaine courtoisie, les quitte assez vivement, toujours en prétextant son mal. Le baron d'Urbache les engage à dîner ; mais, lorsque le soir ils se furent retirés dans leur logis, le gouverneur les fit saisir et emprisonner.
Ils passèrent en jugement ; Quebenhouse fut acquitté, mais Saint-Mar fut condamné à mort. Il allait être exécuté, lorsque, le 6 décembre 1644, la ville étant de nouveau investie, Magalotti exigea son élargissement en échange de M. de Malaincourt.
Dans l'intervalle, la mort avait opéré différents changements à la cour de France...
à suivre : Le siège de 1645