Sièges et destruction de La Mothe (1)
En 1904, l'abbé Achille-Pierre Liébaut, curé d'Outremécourt, publiait la 2ème édition de sa monographie consacrée à l'histoire de la forteresse lorraine de la Mothe : La Mothe – ses sièges – sa destruction.
Pour les lecteurs d'Histoires Lorraines, j'ai choisi d'en reproduire de larges extraits, en plusieurs articles, que j'intitulerai :
- Le siège de 1634 (1ère partie)
- Le siège de 1634 (2ème partie)
- Les blocus de 1642 et 1643
- Le troisième siège (1645)
- Capitulation
- Destruction
Mais d'abord, laissons l'Abbé Thiébaut nous emmener sur la montagne de La Mothe et nous faire découvrir l'immense panorama qu'elle domine. Après cela, nous apprécierons davantage l'autre voyage, le voyage dans l'Histoire, qui nous emmènera au cœur du XVIIème siècle, "l'époque la plus douloureuse de l'existence de notre chère et malheureuse cité", selon les termes mêmes de l'auteur.
Préface de l'auteur
En livrant au public ce modeste opuscule, mon unique but était d'attirer l'attention sur cette montagne où, il y a deux siècles et demi, s'élevait une cité plus remarquable encore par le courage de ses habitants que par ses colossales fortifications. Rappeler les hauts faits d'une bourgade qui, avec sa petite troupe de soldats, eut la gloire d'arrêter pendant dix ans quatre armées françaises et de retarder la soumission du duché de Lorraine, n'est-ce pas dire assez que de tels souvenirs ne doivent pas être abandonnés ?
Une société de savants voulait élever un monument pour perpétuer les exploits des deux armées. Mon travail devait simplement favoriser la souscription proposée dans ce but.
Tout a si bien réussi, grâce aux nombreuses bonnes volontés, que non seulement le monument existe et des fouilles importantes ont été faites et ont fourni de précieuses découvertes, mais que mon travail tiré en un plus grand nombre d'exemplaires que primitivement je ne l'aurais voulu, est épuisé. Voyant que, d'une part, mes bons amis me poussent à une nouvelle édition, et que d'autre part les nombreux visiteurs me demandent sans cesse de leur indiquer ou de leur procurer un livre pour les renseigner, et les diriger, je cède et viens offrir au public cette seconde édition avec notable augmentation.
Sur les confins de la lorraine s'élève une montagne...
Sur les confins de la Lorraine s'élève une montagne que le voyageur, ami des antiques souvenirs, se plaît à visiter ; c'est La Mothe, dit-il de loin, en apercevant sa tête altière, La Mothe, la reine de ces contrées. Plusieurs autres montagnes se dressent à ses côtés. A l'est, se voit Fréhaut, à quelques centaines de mètres seulement de La Mothe. On y trouve encore les tranchées pratiquées par l'ennemi pour établir des retranchements et de là creuser les parallèles et les fossés qui le conduisirent jusqu'aux murailles de la forteresse1.
Au Nord, Roches et Chatillon, formant avec La Mothe et Fréhaut l'enceinte de la petite valide d'Outremécourt à Médonville. Le bois de Roches qui couronne la colline de ce nom se continue sur Cliatillon pour aller aboutir à l'antique forêt qui couvre les vastes terrains situés entre Sartes, Pompierre, Jainvillotte et Circourt. Cette forêt s'appelait autrefois Mecurium. C'est de ce nom que dérive celui de notre village : Outremécourt (ultra mecuria). Au sud de notre montagne, nous avons la chaîne de celles de Bourmont, que couronnent les forêts de Graffigny, Nijon, Vaudrecourt et Sommerécourt. La Mothe semble se détacher de ces collines pour les dominer toutes. Sa hauteur est de 506 mètres au-dessus du niveau de la mer2, 160 mètres au-dessus de la vallée d'Outremécourt et 190 mètres au-dessus du Mouzon, que franchit le pont Cinq parts3. En nommant ce vétéran de nos contrées, nous aurions pu dire que franchissait, car ce pont si digne d'attention ne se tient plus debout et s'écroule dans les eaux de notre rivière. Son origine est très ancienne, elle pourrait remonter à l'époque gallo-romaine. Des traces de voie romaine, reconnues à Médonville et se dirigeant sur La Mothe, indiqueraient une voie secondaire qui se rattachait au plateau de cette montagne, descendait par l'angle sud-ouest, traversait la rivière sur ce pont et se joignait, à quelques pas plus loin, à la grande voie de Langres à Toul, à Metz et à Trêves.
Du haut de la Mothe, le visiteur jouit d'un immense panorama : à l'ouest et au sud, au loin, le plateau de Langres, dominé par les tours de la vieille cathédrale ; la vaste forêt de La Vacheresse, où le chêne des partisans dressait jadis sa cime altière, et, tout près, semés dans la riante vallée du Mouzon, les gracieux villages de Vrécourt, de Soulaucourt, de Nijon, de Vaudrecourt, de Sommerécourt. A l'est, la vue s'étend par dessus Médonville et Bulgnéville, jusqu'aux collines qui dominent Vittel et Contrexéville.
Jadis, le sommet de La Mothe fut le siège d'un château d'une certaine importance et ensuite d'une opulente cité, à qui la nature avait donné un rocher pour base et des précipices pour dehors. Sa forme ovale est celle d'un cône tronqué. Le plateau est d'une superficie de 32 hectares 26 ares.
Causes des guerres et malheurs de la Lorraine
Nous touchons à l'époque la plus douloureuse de l'existence de notre chère et malheureuse cité. Nous allons parler de cette série de guerres et de sièges, qui ensanglantèrent la Lorraine et qui amenèrent la destruction de La Mothe. Tout le monde connaît, au moins par la tradition, ces événements malheureux. Mais beaucoup demandent quelles peuvent être les causes de cette dernière et lamentable catastrophe. C'est à répondre à cette curiosité trop légitime que nous destinons les lignes suivantes.
La Lorraine était une belle et riche contrée ; j'aurai tout expliqué en disant que c'était une proie très appétissante pour l'aigle rouge, qui, en qualité de ministre d'État, présidait aux destinées de la France. La Mothe était du côté de la Champagne le dernier boulevard de la Lorraine. Le grand diplomate Richelieu le comprit bien vite et c'est la raison qui lui fit prononcer l'arrêt suprême, le delenda Motha. Nous verrons, hélas ! que cette volonté dernière du grand ministre ne fut que trop fidèlement exécutée.
Donnons, néanmoins, un aperçu de ce tissu diplomatique nous expliquant l'origine et la continuation de ces guerres.
Depuis François Ier, la France était en lutte avec l'Empire d'Autriche. La Lorraine séparait ces deux Etats et on peut dire qu'elle était entre le marteau et l'enclume. Comme possesseur du Barrois mouvant, le duc de Lorraine était l'homme-lige de la couronne de France ; mais la Lorraine elle-même était plutôt regardée comme un fief de l'Empire d'Allemagne, donc loin de couvrir notre frontière de l'Est, elle pouvait livrer un passage à notre ennemi naturel.
Convoitant cette province, qui lui paraissait nécessaire, la France avait tenté différentes unions qui pouvaient lui procurer ce riche héritage. Le duc Henri II avait deux filles ; l'une, d'après ses calculs, était pour le Dauphin, et l'autre pour Gaston, le second fils du roi Henri IV4. Mais ces projets ne purent aboutir. Nicole, l'aînée de ces princesses, épousa son cousin, le fils du comte de Vaudémont (23 mai 1621), celui qui plus tard fut le duc Charles IV . La princesse héritière cédait ses droits à son époux, et en établissant ainsi une sorte de loi salique pour la Lorraine, on enlevait à la France tout espoir de possession de cette province par suite d'alliance. Ceci ne fit pas l'affaire du cardinal diplomate. De son côté, le duc Charles prêta le flanc à cette intrigue par différentes fautes, dont le grand ministre sut profiter. Quoique vassal-lige pour le duché de Bar, il refusa le serment que devait à la France la duchesse Nicole, son épouse. De plus, il savait que le duc d'Orléans était en hostilité avec le roi5 , et il avait promis par un traité secret de ne lui donner ni retraite, ni assistance ; néanmoins, il l'accueillit dans ses Etats et lui fit même épouser sa soeur Marguerite (3 janvier 1631). C'était plus qu'il n'en fallait pour allumer la colère de Richelieu. Bientôt, toute la Lorraine est couverte de troupes françaises et six jours suffisent pour obliger Charles IV à signer le traité de Liverdun (26 juin 1632).
La paix ne fut d'aucune durée ; le duc Charles IV continuant à lever des troupes, à favoriser le duc d'Orléans, à rester l'ami de l'Espagne, dès l'année suivante Richelieu décida Louis XIII à reprendre les hostilités et à s'emparer immédiatement de Nancy. Le 30 juillet, le Parlement de Paris prononçait par un arrêt la confiscation du duché de Bar, faute d'hommage. Nous voici au premier siège de La Mothe.
1- Une note que nous avons trouvée dans nos archives nous apprend que la montagne de Fréhaut, aujourd'hui couverte d'un bois touffu, ne portait à l'époque des sièges, que quelques arbres clairsemés.
2- Il n'y a, dans la Haute-Marne, qu'un point un peu plus élevé (515 m.), c'est sur le plateau de Langres le monticule qui domine Perrogney. Mais nul site ne peut être comparé à La Mothe comme point de vue. Quand le ciel est serein et clair, le visiteur peut très bien distinguer les tours de la cathédrale de Langres et compter, tant dans le Bassigny que sur les confins des Vosges, trente-quatre villages qui s'étalent sous ses yeux.
3- D'autres écrivent Saint Part ou Saint Père ; mais l'opinion la plus commune, c'est qu'il faut écrire Cinq parts parce qu'il avait appartenu à cinq différentes communautés, La Mothe, Boisdeville, Outremécourt, Sommerécourt et Vaudrecourt, et aujourd'hui encore il confine à cinq communes, Outremécourt, Soulaucourt, Sommerécourt, Vaudrecourt et Nijon
4- Charles IV était né le 6 avril 1604, de François, comte de Vaudémont. Il avait eu successivement pour gouverneurs, Jacques Philippe de Ligniville, commandeur de Marbotte et de Doncourt, conseiller d'Etat et chambellan du duc Henri III, et Henri de Gournay, comte de Marcheville. Ce prince alla passer une partie de sa jeunesse à la cour de France. Il était belliqueux, grand, aimable et faisait les délices des Seigneurs lorrains. (Dom Calmet.)
5- Le duc Gaston d'Orléans avait quitté la Cour de France par antipathie pour Richelieu, dont il ne pouvait supporter l'omnipotence. Il le traitait de Maire du Palais. Richelieu, de son côté, le lui rendait bien. Non seulement, il le fit traquer par les armées du roi, mais il alla jusqu'à attaquer en Cour Romaine son mariage avec la princesse Marguerite. (D. Calmet.)